Dix ans après la tuerie de Charlie Hebdo, les caricaturistes luttent désormais «contre l’indifférence»
Article publié par Le Figaro, le 2 janvier 2025 / Pour l’historien Laurent Bihl, le combat des caricaturistes a désormais changé …
Caricature du président français Emmanuel Macron tenue par un manifestant lors d’une manifestation contre les caricatures représentant le guide suprême de la république islamique publiées par l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, devant l’ambassade de France à Téhéran en janvier 2023. ATTA KENARE / AFP
ENTRETIEN – Pour l’historien Laurent Bihl, le combat des caricaturistes a désormais changé : ils doivent à présent lutter contre l’indifférence ambiante et non plus contre la censure législative.
Dix ans après la tuerie de Charlie Hebdo, le combat des caricaturistes a changé : ils doivent désormais lutter contre l’indifférence ambiante et non plus contre la censure législative, constate pour l’AFP Laurent Bihl, spécialiste de la satire à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne.
Y a-t-il un avant et un après l’attentat de Charlie Hebdo ?
Laurent BIHL. – Oui et cet avant/après est encore creusé par l’affaire Samuel Paty, cinq ans plus tard. La peur est évidente. Mais, aujourd’hui, ce n’est plus un durcissement de la loi qui entraîne l’autocensure des caricaturistes. La pression vient d’une vindicte en pointillé sur les réseaux sociaux et de la menace terroriste, pas seulement en France. Depuis 2015, au lieu d’avoir des espaces qui se sont ouverts, des espaces se sont fermés. Le New York Times a annoncé cesser de publier des satires au 1er juillet 2019. « Les Guignols de l’info » (émission de Canal+) ont disparu en juin 2018, trois ans après Charlie, sans que personne ne s’interroge.
Comment expliquer cette indifférence et le fait que certains dessins choquent davantage aujourd’hui ?
Le dessin est un mode d’expression apparemment simple mais dont la réception est extrêmement complexe. Le dessinateur ne contrôle jamais complètement son motif. Quand l’image satirique surgit à l’époque des kiosques et après la loi du 29 juillet 1881 (sur la liberté de la presse), c’est un choc. Le pouvoir et les ligues de vertu font pression, moralement et légalement, sur les caricaturistes.
Nous retrouvons ce choc avec l’explosion des réseaux sociaux. Comme le dit le dessinateur suisse Chappatte, « le dessin est local et l’image est mondiale ». Un journal satirique est acheté par quelqu’un qui comprend ce type d’humour. Mais, transporté via internet à des milliers de kilomètres, le choc est forcément autre. Et ce sont souvent des lieux où la production satirique locale est impossible.
Y a-t-il une moins grande tolérance à la caricature des religions alors que notre époque est davantage sécularisée ?
Il y a une évolution sur l’idée même de tolérance. Autrefois, le respect de l’intérêt général avait entraîné une idée de la liberté d’expression où l’on pouvait presque tout dire, pour montrer justement que rien n’était sacré, même si des règles juridiques demeuraient. Aujourd’hui, on ne respecte plus un principe, mais son voisin. Les adversaires de la caricature ne comprennent pas que la culture du rire aboutit forcément à finir par rire avec son voisin et non de lui. Alors qu’avec l’inverse et la culture de l’interdit, on finit par le dénoncer anonymement sur internet.
L’attaque des caricatures, signées, a pour corollaire le tsunami d’images trafiquées ou non signées sur cette poubelle de notre inconscient collectif qu’est devenu internet. La noblesse de la caricature est qu’elle s’avance non masquée.
Le rire, arme politique, peut aussi être au service des dominants…
C’est évident et le souvenir cuisant des campagnes antisémites ou de l’humour inscrit dans la culture coloniale d’autrefois nous le rappelle. Mais rien ne justifie la violence. Les rapports de domination se combattent en émettant de la contre-caricature, en débattant ou en saisissant la justice. En matière de liberté d’expression, il y a un autre problème sur le plan économique, avec des médias qui sont très riches et auxquels on ne peut répondre d’égal à égal tellement leur force est importante. Mais les médias satiriques dont nous parlons sont pour la plupart très fragiles économiquement et c’est l’autre principale menace, avant d’être terroriste, qui pèse sur les petits titres comme Siné Hebdo, Fakir, La Lettre à Lulu (média satirique nantais)…
La caricature est-elle une anti-image ?
Plutôt un regard décalé. La violence du trait des caricatures, même rigolotes, en fait des images arrêtées au moment où les images se succèdent tellement vite qu’elles s’annulent les unes les autres. Des cadavres de gosses noyés comme celui du petit Aylan Kurdi (garçon syrien de 3 ans retrouvé mort en 2015 sur une plage en Turquie, NDLR), il y en a des centaines qui demeurent au seuil des journaux télévisés. Le montrer échoué devant une pub McDonald’s, c’est interroger ce qui force ces nouveaux misérables à partir et desquels nous détournons le regard. Et que le dessin ait pu choquer davantage (ou autant) que la photographie initiale pose un réel problème collectif. La caricature est un œil social, son rôle est de lutter contre l’indifférence.
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